lundi 26 juillet 2010

Madame Simone

Dans ma station de métro, à chaque voyage, je croise une vieille dame. Elle est assise par terre, sur des cartons, le dos contre un tuyau, recroquevillée près d’une fenêtre. Elle porte des habits rapiécés, aux couleurs mal assorties. Elle ne fait rien d’autre qu’attendre, tout le jour durant, sans parler à personne. Parfois, je la vois manger le contenu froid d’une boite de conserve. Le plus souvent, son regard semble se perdre dans le vide, indifférente à la foule des voyageurs qui passent devant elle sans la voir.

Cet hiver, la détresse de cette femme m’a touchée. Il faisait froid dehors et dans son courant d’air je me disais que les journées devaient être longues. Pourtant, je n’ai pas osé aborder la vieille femme. Quels mots trouver face à la détresse sociale ? Quels gestes avoir face à l’injustice ? Alors, je n’ai rien fait d’autre que d’écrire un petit texte – un texte tout simple dans lequel cette femme, que personne ne voit, serait l’héroïne. Je l’ai nommée « Madame Simone » parce qu’il fallait lui donner un nom pour la faire exister.
Mais je me suis mal débattue avec ce texte. Je ne trouvais pas de fin satisfaisante, je n’arrivais pas à trouver une conclusion à la hauteur des personnages. Alors j’ai fini par tout laisser en plan et par oublier le texte sur un coin du bureau.

Mais je n’ai pas oublié Madame Simone (même si elle ne s’appelle pas ainsi). Samedi, lorsque j’ai pris le métro, la vieille dame était toujours à sa place habituelle, recroquevillée contre la fenêtre. Son visage était rouge. Malgré l’été, elle s’était emmitouflée dans un anorak, tremblant de tout son corps. Je me suis dit que la vieille dame, aujourd’hui, allait plus mal que tous les autres jours et que, l’été revenu, les services sociaux qui, les mois d’hiver, lui apportaient une soupe chaude, ne venaient plus. Je me suis sentie impuissante face à cette souffrance. Profondément impuissante.

Alors j’ai repensé à ce texte écrit cet hiver. Ce texte dont je n’ai toujours pas trouvé la fin et que je n’ai jamais osé sortir du placard. En ce moment, je n’arrive pas à trouver l’énergie pour écrire de nouvelles histoires. J’aimerais pourtant penser qu’écrire peut être utile. Voici ci-dessous un extrait de l’histoire écrite cet hiver. En le lisant, peut-être penserez-vous à la vieille dame qui passe ses journées dans ma station de métro… Et puis peut-être que si on est plusieurs à penser à elle, elle pourra aller mieux…

Sur le quai, les ombres voyageuses sont entassées les unes sur les autres.

Le père et l’enfant se faufilent vers le distributeur de boissons. Madame Simone est là, comme chaque matin, la tête calée contre la poubelle, les jambes ramenées vers la poitrine.

Mais ce matin, madame Simone ne sourit pas à l’enfant.

Ce matin, madame Simone ne voit personne.

Ce matin, madame Simone ne va pas bien.

Il a fait si froid cette nuit. Ses doigts sont engourdis. Au fond de son ventre, il y a la faim qui la ronge. Au fond de sa tête, il y a le silence qui la paralyse. Au fond de son cœur, il y a la solitude qui hurle.

Non, ce matin, madame Simone ne va pas bien du tout.

L’enfant regarde madame Simone. Mais madame Simone ne le voit pas.

L’enfant regarde les passagers du quai. Mais les passagers ne voient pas madame Simone.

L’enfant regarde son père. Mais son père n’a pas le temps de voir son fils.

Le train est à quai. La foule se bouscule. « Vite ! », dit le père en appuyant sur le cartable de son fils.

L’enfant s’engouffre dans le wagon. Puis il se retourne et colle ses mains contre la porte vitrée qui s’est refermée.

Là, sur le quai, madame Simone est restée seule.

Seule avec sa solitude glacée. Douleur invisible, assise entre la poubelle et le distributeur de boissons.

L’enfant la regarde, et quand le métro démarre, il tourne la tête pour la voir le plus longtemps possible.

Mais le wagon a quitté le quai et, de l’autre côté de la fenêtre, il n’y a maintenant plus rien d’autre que l’obscurité du tunnel.

Soutenez !

Vous savez que j’aime l’Asie, et en particulier le Japon et la Corée. Il y a quelque temps maintenant, j’ai eu un coup de cœur pour une maison d’édition publiant des albums jeunesse autour de la Corée du Sud (illustrés et/ou écrits par des auteurs sud-coréens) : les éditions Chan-ok, dirigées par Hélène Charbonnier et rattachées à Flammarion. Cette maison d’édition est fondée sur l’idée de partage et de découverte et permet de faire connaître en France des illustrateurs coréens talentueux, créateurs d’univers plein de douceur, jouant entre modernité et tradition. Chan-ok publie également des auteurs français, faisant illustrer leurs textes par des artistes coréens. C’est ainsi qu’il y a plus d’un an j’ai signé un contrat avec cette maison pour l’édition de mon texte Les étoiles amoureuses, conte inspiré d’une légende asiatique. L’album, dont la sortie est prévue pour novembre 2010, est illustré par Kim Dong-seong. Cet illustrateur est l’auteur du magnifique album Oneuli et fait des dessins de toute beauté, dans la pure tradition coréenne. Jugez-en un peu ici par un extrait des Etoiles amoureuses :

(c) Chan-ok

Seulement voilà, l’avenir de Chan-ok est aujourd’hui menacé. Flammarion a décidé de se séparer de la directrice du label et nul ne sait pour le moment ce qui adviendra des livres publiés ou à sortir chez Chan-ok. C’est une triste nouvelle, car ce serait vraiment dommage qu’une si belle aventure se termine ainsi, et que les enfants n’aient plus l’occasion de découvrir tous ces beaux albums en librairie.


Si comme moi cette décision vous révolte, je vous invite à rejoindre le collectif de soutien et de bienveillance de Chan-ok, constitué sur Facebook. Ne laissons pas les lois du marché décider pour nous et faire mourir de beaux livres !


lundi 5 juillet 2010

"J'étais ailleurs"

La littérature (même jeunesse, mais si mais si !) permet des expériences particulières. L’autre soir, j’ouvre l’album d’Alex Cousseau et Kitty Crowther, Dans moi, aux éditions MeMo. Mes doigts restent scotchés à l’ouvrage : à chaque page, j’ai l’impression de lire un texte que j’ai écrit. Je veux dire que j’aurais pu écrire, ou plutôt que j’écris depuis des années au fond de moi… mais sans pourtant trouver exactement les mots appropriés pour décrire l’exact sentiment. Et ces mots, voilà que je les retrouve, exactement à leur place, dans le texte d’Alex Cousseau ! Un autre que moi a su dire une expérience que je croyais n’appartenir qu’à moi… comme c’est troublant !

« Avant d’être moi, je n’étais pas dans moi. J’étais ailleurs. » C’est ainsi que commence l’album. Phrases métaphysiques en apparence, qui traduisent en fait l’expérience toute bête de la conscience qui n’est pas encore venue à elle-même, qui n’est pas encore vraiment accomplie. Le narrateur est un peu perdu. Il ne sait pas encore très bien qui il est, ni où il va. Cela lui fait un peu peur, toute cette incertitude. Il s’aperçoit surtout qu’en lui il y a un ogre qui paraît invincible : un ogre énorme qui prend toute la place et qui ne lui laisse pas la possibilité de s’exprimer. Comment faire pour le combattre ? Comment réussir à apprivoiser cet étranger en soi et pouvoir enfin trouver sa voix ? Le narrateur va tout faire pour parvenir à être « le roi dans moi » afin de pouvoir « décider des choses impossibles ».
(c) Editions MeMo, 2007.

Cette lutte contre l’autre en moi est exprimée à travers des mots limpides et sublimée par les dessins de Kitty Crowther. Ceux-ci , au crayon de couleurs, ont quelque chose de simple, voire d’un peu enfantin et donnent vie aux mondes inachevés et incertains du cauchemar et des monstres intérieurs. La forte présence de la couleur rouge – qui évoque le sang, la souffrance – a quelque chose d’un peu terrifiant, et traduit à merveille la somme des peurs qui se cachent au fond de soi.
Bien sûr, le narrateur va réussir à trouver le chemin jusqu’à soi. En affrontant l’ogre. En osant faire mourir un peu de lui-même… pour renaître plus grand, plus fort !
Parfois on me dit : « Comme c’est bizarre [sous-entendu suspect], vous êtes passée de la philosophie à la littérature pour enfants ! Les deux mondes sont pourtant si éloignés ! ». Cet album prouve que ceux qui disent ça n’y comprennent rien ! Alex Cousseau / Kitty Crowther et Friedrich Hegel, même combat ! Dans moi retrace en effet l’expérience décrite avec des mots compliqués et apparemment inaccessibles de la Phénoménologie de l’esprit. Mais au lieu des concepts, il y a les images ; au lieu des notions philosophiques, il y a les dessins. La métaphore poétique aussi puissante que le verbe métaphysique, n’est-ce pas quand même absolument génial ?
Bon, bon, bon, je m’emballe ! Mais lisez Dans moi et revenez me dire ce que vous en pensez !
Dans moi
Alex Cousseau
Kitty Crowther
Editions MeMo
2007
  • Une critique dans du9